5
Après…
Après, je me chausse, me veste et je sors de ma boite en briques rouges, verres vitraux, pierre bois et ardoises, achetée d’il y a un mois. Je jette sur le pas de la porte un « bonne journée Lola ! » qu’elle n’entend pas, il me semble, avant de refermer la porte derrière moi.
Notre maison termine une rangée de maisons toutes parfaitement identiques. Elles sont alignées bien serrées, des empilements de briques rouges avec derrière chaque unité un long jardin étroit ou coursive de dalles grises, pour étendre le linge d’une famille nombreuse, mettre à l’écart son tonnage de déchet consumériste, ou faire pousser pommes de terre, salades endives et fraises.
Notre maison beaucoup plus grande, plus large, au terrain démesuré, appartenait encore il y a de ça un peu plus d’un mois, à un architecte de renom très people et natif de ce quartier, décédé l’an passé.
Ce n’est qu’une fois sur le trottoir plutôt sale, gras, irrégulier, que je vois quelle direction prendre dans cette journée avec nuages et ciel bleu. Partagée. Nous habitons au quatre rue Jean-Siméon Chardin. Je me dirige vers mon arrêt de bus habituel au cent quatre. Vers le soleil qui prend de la hauteur, petit à petit se détache de l’horizon. Après quatre minutes de marche, de promenade, je choisis l’autre arrêt, juste de l’autre coté du trottoir où d’ordinaire j’attends celui qui me conduit au Labo.
Comme par hasard, ou jour de chance ? L’engin apparaît. Pas attendu plus de quatre secondes. Comme quoi tout doit aller de soi, une évidence l’autre. Une histoire d’élan et de force d’inertie ? Une histoire qui va de soi, de moi.
5 dans le bus.
Avant le train.
Je vois dans le virage l’autobus qui va m’emmener plus loin dans cette journée, qui suit cette nuit pleine de sommeil. Beau bus vert-fougère et bleu-lilas couvert de réclames. Un nouveau capteur solaire de chez les trois B (BioBigBlink), une filiale du groupe Bellemer & Cie, qui fait le tri dans les ondes, collecte et stocke et transforme selon besoin. Je ne connais pas ce modèle. Une femme toute en silicone debout sur le toit du véhicule vante le système et ses formes design. La confusion des formes, des genres, sème le trouble. Elle présente l’objet et ses fonctionnalités super pratiques, et indispensables depuis peu. Je me sens convaincu. L’envie d’acheter commence à m’obséder. Bien que je préfère quand et comment Lola me convainc, je ne peux me montrer totalement insensible à cette technique de manipulation. Les chimies diffèrent. Je sais que la femme en silicone génère ondes et substances, surtout les hormones 4S (Synthétiques-Singular-Super-Space), qui arrosent son environnement immédiat, et attaquent mon inconscient. Je peux esquiver. J’ai acheté ce qu’il fallait, le dernier modèle avec la dernière technologie, le top du top. C’est la société Bellemer & Cie qui produit les réclames qui fabrique l’anti-dote. Le quid PU (le Perspective Utilitaire). Cela coûte drôlement bonbon, mais c’est efficace. Pas à la portée de toutes les bourses. Alors forcément, les pauvres ne peuvent échapper aux 4S. Tant pis pour eux ! Reste un trouble certain, comme une trace de la missive commerciale.
Je ne dois pas omettre de signaler mon souhait de prendre place dans le bus. Souvent, ce véhicule m’a passé sous le nez, et moi de regarder le quatre-roues surgir d’un horizon pour le voir franchir l’autre.
Je monte et une femme au volant me sourit. De fait, elle répond à mon sourire, qui ne me quitte pas, bien collé du lever, ce beau matin, malgré la douche froide. Colle étanche. Je me choisis une place au fond. Personne à cette heure dans cette direction.
Ah si ! Une vieille dame toute recroquevillée que je n’avais pas vu, et son petit-fils, peut-être, quatre ans à peine, assommé de sommeil. Ou cinq ans ? Je suppute. Je n’ai pas de quoi comparer chez moi. Pas d’enfant. Et puis, avec les grosses perturbations de temps que nous traversons, mieux vaut supputer.
Il dort profondément. Il doit être en chasse d’un monstre fluo et rigolo aux commandes de son navire intergalactique en forme de drakkar, attifé de sa coiffe de guerre aux plumes d’aigle royal ou oiseau du paradis ? Au moins cela, mais je manque d’imagination pour bien tout dire. Ou alors, trop vieux, vioque, passé, repassé. Nous démarrons.
Je regarde avec plaisir filer le paysage. Je ne connais pas par ici, ni d’ailleurs de l’autre coté. Trop vaseux hier et avant-hier et avant pour discerner quoique se soit. Je découvre la ville où je vis et dort presque depuis plus de… quarante quatre ans ? Non. Je ne sais plus. Je découvre. Je m’étonne de découvrir autant. Je croyais connaître. Il y a bien quelques images qui me reviennent. Pas tant que cela. Près de la grande cheminée qui touche souvent les nuages, une église, et tout contre l’église, l’école où la première fois des adultes décidèrent de m’enfermer. Ma première tentative d’évasion date de cette première école.